Cette chronique est inspirée du dénouement du combat entre Jean Pascal et Sergey Kovalev, tenu récemment à Montréal, dont voici un petit résumé non exhaustif. Un duel à sens unique, sagement arrêté à l’appel du 8e round, pour préserver la santé du vaincu.
C’est un boxeur à la dérive. Sur le ring du Centre Bell, moins d’un an après y avoir été mis KO par le même homme, Jean Pascal donne le peu qui lui reste. Il encaisse, tant qu’il peut, tangue, au gré des coups. Il n’est plus là. Trop fier pour s’avouer vaincu, le seul KO dessine sa sortie. Il supplie son entraîneur, Freddie Roach, qui menace d’arrêter le combat. « Encore un round… » Il acquiesce, les larmes aux yeux, quand, trois minutes plus tard, ce dernier fait signe d’arrêter les frais.
C’est un instant rare, dans un sport d’inconscients. Un pur moment d’humanité. En arrêtant son boxeur, Roach a sauvé ce qui lui reste de carrière, et bien plus, peut-être. Qu’importe si l’épilogue du duel manque de panache. J’ai vu trop d’entraîneurs renvoyer, quoi qu’il en coute, leurs ouailles à l’abattoir, trop d’inconscients confondre bêtise et bravoure, et faillir à leur devoir de protéger leur athlète. Cette sagesse, c’est la marque des grands : Freddie Roach la tient de son mentor, Eddie Futch, l’homme qui a décidé du sort d’un des plus grands combats de l’histoire en arrêtant Joe Frazier, un soir de 1975 à Manille, à l’appel du quinzième et dernier round.
Je ne sais combien de confrères j’ai entendu s’indigner sur ces « millions gagnés en quelques minutes » par Floyd Mayweather. Ils sont nombreux, certes – 700, en 19 ans de carrière – mais plus que dans aucun sport, pour les boxeurs, la réalité économique est élitiste : une cinquantaine vit grassement au crochet des grands réseaux américains pendant que le reste trime pour une bouchée de pain. Il y a cette notion de risque, pourtant, que chacun connait, et que les profanes oublient vite.
Quelle que soient les scènes où ils se produisent, des grandes arènes de Vegas aux arrière-salles de tripots, les centaines ou les millions qu’ils amassent, les boxeurs risquent leur vie. Parce que c’est leur métier, leur passion. Leur vie, justement. On l’oublie trop souvent et à chaque année ses tragédies. Ces boxeurs qui saluent la foule après un combat où ils ont trop donné d’eux même, pour s’évanouir dans la douche et cracher leur dernier souffle intubés sur un lit d’hôpital.
Je suis journaliste, j’ai moi-même eu le courage de monter un jour sur un ring, et j’aime ce sport comme aucun autre. Mais j’éprouve un certain malaise à écouter des confrères se délecter de combats ultra-violents, vénérer cette violence à grand renfort de « slugfest », la valoriser, parfois, au détriment d’un combat plus tactique. La boxe est un sport-spectacle : la violence en est l’essence, mais elle n’en sera jamais la fin.
Peut être est-ce l’aveu de ma schizophrénie ou que, plus simplement, j’aime les boxeurs plus que la boxe. Face à mes contradictions, j’ai plaisir à me rappeler cette anecdote tirée de l’excellent Mal Tiempo, de David Fauquemberg : quand un vieil entraîneur irlandais, accoudé sur son zinc, raconte ce soir où, sur la route d’un gala de boxe, il croise l’un des combattants… Au bar du coin ! Les mains bandées, peignoir sur les épaules, ce dernier lui lance, entre deux effluves de whisky bon marché : « Tu crois vraiment que je serais monté sur un ring si j’avais tous mes esprits ? »
Jean-Charles Barès (@jcbares)